Solitude

C’est devenu un cliché : l’écriture est une expérience solitaire, qui surgit des fondements les plus intimes d’un individu. Les mots qui vous hantent exigent un partage, mais vous ne pourrez les donner à lire qu’au terme d’une longue solitude. Jusqu’au bout, vous ignorerez la valeur de ces pages accumulées. Vous supplierez vos amis, vos parents, votre conjoint(e) de vous donner un avis, mais vous vous apercevrez vite que les félicitations que vous leur aurez arrachées ne vous rassurent pas. Ce dont vous avez besoin, c’est de l’analyse objective d’un(e) professionnel(le).

Mais vous ne l’obtiendrez pas.

Car vous aurez beau envoyer votre manuscrit à tous les éditeurs de France, vous ne recevrez que des lettres de refus standardisées, où votre nom et le titre de votre bouquin seront parfois ajoutés à la main. Vous ignorerez toujours pourquoi personne n’aime votre bébé. Vous vous êtes peut-être trompé de cible, en vous adressant à des éditeurs qui ne publient pas ce genre d’ouvrages. Votre lettre d’accompagnement n’est peut-être pas assez accrocheuse. Vous avez peut-être laissé une faute d’orthographe sur la première page. Ou un million d’autres choses. En l’absence d’indication, vous en êtes réduit à émettre de vaines suppositions.

Du moins, c’est ainsi que les choses se passaient avant l’avènement de l’autoédition.

Auteur et entrepreneur

Depuis le développement du numérique, quelque chose a changé dans la condition d’auteur. Un glissement de terrain dans le paysage de l’édition a bouleversé l’équilibre qui prévalait depuis plus d’un siècle. La plupart des auteurs ne s’en sont pas encore aperçus, mais ils disposent désormais d’une option nouvelle, qui leur permet d’échapper à leur traditionnelle soumission aux éditeurs.

L’autoédition ne constitue pas seulement une nouvelle façon de publier ses livres ; elle représente un renversement complet de perspective. Plutôt que de se soumettre au jugement d’un éditeur, l’auteur auto-édité apprend à évaluer lui-même l’intérêt et la viabilité commerciale de ses livres. Plutôt que de fonder sa stratégie sur la séduction d’un intermédiaire, il s’adresse directement à ses lecteurs.

L’indispensable relecture

Heureusement, il n’est pas obligé de recourir à son seul jugement dans cette ambitieuse tentative, et publier son texte comme on jette une bouteille dans l’océan. Car tout manuscrit contient des erreurs, des longueurs, des lourdeurs, des incohérences et des clichés en quantité industrielle. Publié tel quel, il risque de subir la colère des lecteurs, mécontents de trouver autant de défauts dans le livre (acheté ou même gratuit) dont ils espéraient retirer quelques heures de plaisir sans aspérités. Rien de plus désagréable pour eux que de devoir interrompre cette lecture pour souligner en rouge une faute de participe passé ou pour sauter dix lignes d’une description inutile.

Les réviseurs

C’est là qu’intervient une profession nouvelle, que l’essor de l’autoédition devrait très vite rendre indispensable : ceux que les Canadiens appellent très justement les réviseurs, traduction de l’anglais editors (l’Association Canadienne des Réviseurs – ACR – s’appelle en anglais Editors’ Association of Canada – EAC). Un réviseur peut accomplir un grand nombre de tâches, allant du développement d’un manuscrit jusqu’à la correction orthographique et typographique finale.

Mais si cette dernière constitue une mise en forme indispensable, dont l’absence peut faire affluer des dizaines de courriels ou de commentaires négatifs, le développement du manuscrit, son analyse bienveillante, accompagnée de conseils pour l’améliorer, représente l’unique chance pour un auteur de s’améliorer et de rendre lisible son ouvrage. Personne n’échappe à cette nécessité ; les romanciers confirmés s’en dispenseraient à tort. Je dirais même, sans aucune exagération, que toute l’entreprise de l’autoédition est conditionnée par une telle lecture, à la fois vigilante et professionnelle.

Hélas, la profession de réviseur demeure confidentielle en France. On peut parier qu’elle prendra de l’ampleur, mais il reste difficile de trouver cette perle rare dans le large éventail des services proposés aux auteurs souhaitant s’auto-publier. Je consacrerai un prochain billet à la réviseuse (elle préfère revendiquer le titre d’écrivain personnel) avec qui j’ai la chance de travailler, Céline Bernard. Si je ne l’avais pas rencontrée sur ma route, je me serais peut-être adressé à l’un des réviseurs canadiens représentés par l’ACR. Mais en aucun cas je me serais résigné à publier mes manuscrits en leur état d’origine.

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