Imaginez une scène où un policier pourchasse un tueur en série. Le bonhomme est solitaire et renfrogné, inapte à la vie en société, mais très efficace dans son travail. Il a trouvé la planque de son tueur, un entrepôt frigorifique désaffecté de Nanterre. Il s’y rend seul, sans prévenir personne. Évidemment, le tueur lui a tendu un piège : alors qu’il traverse une grande salle vide, une porte blindée se ferme et la température se met à baisser. La fin est proche. À moins que…

Tout amateur de polar connaît ce genre de scènes bourrées de clichés, où un flic présenté comme intelligent tombe dans un traquenard grossier en ayant oublié de s’entourer des précautions les plus élémentaires. Sous prétexte de suspense, leurs auteurs nous servent des copies absurdes et bon marché des pires séries américaines. En tant que lecteur, nous nous sentons doublement floués : au lieu de nous faire peur, la scène nous ennuie, et nous perdons toute empathie pour ce policier dépourvu de jugeote.

Le présent billet est le premier d’une série intitulée « La police à l’usage des auteurs de polars ». Cette série vise à donner aux auteurs quelques informations de base pour leur permettre d’écrire des scènes policières ou des polars entiers en évitant les écueils désignés plus haut. Elle se fonde essentiellement sur mes échanges avec Frank Martin, un ancien flic dont la carrière diversifiée, la connaissance de la procédure et le regard non conformiste m’ont permis d’écrire mon premier polar, Effondrement. Elle s’adresse aux auteurs, mais aussi aux lecteurs désireux de comprendre comment fonctionne une véritable enquête policière et quelles sont les conditions de travail des policiers.

Trouver un cadavre dans les règles de l’art

Par Frank Martin et Guy Morant

Un nombre écrasant de polars commencent par un meurtre. L’une des scènes obligatoire du genre est celle de la découverte du cadavre. Quelle que soit la première personne à constater que la personne allongée sur le sol n’est pas vraiment endormie, la police finira par en être avertie et l’enquête se mettra en branle.

Ce premier billet a pour but de vous fournir un aperçu complet du processus police-justice à partir du constat d’une mort suspecte. La plupart des étapes présentées ici seront passées sous silence dans un roman, mais elles existent dans la réalité. Tout auteur a intérêt à les connaître, car elles lui permettront de choisir un angle d’approche à la fois authentique et original.

1. L’appel

Des promeneurs trouvent un cadavre. Pour les besoins de la cause, mettons qu’il s’agit du corps mutilé d’une jeune femme, jeté dans le fossé d’un chemin forestier. Dans la plupart des cas, les promeneurs composent le numéro 17 sur leur téléphone mobile. Ils sont immédiatement mis en contact avec un fonctionnaire de Police du S.I.C (Salle de commandement et d’intervention) de la DDSP locale. Après avoir recueilli les premières informations, la salle de commandement contacte directement le commissariat ou la brigade de gendarmerie possédant une compétence territoriale sur le lieu de la découverte du cadavre. Comme les polars mettent le plus souvent en scène des policiers plutôt que des gendarmes, nous supposerons ici que la forêt se situe sur le territoire de la police nationale.

L’opérateur radio en poste au commissariat dépêche sur place un véhicule de patrouille (composé de deux ou trois policiers en tenue) et informe des faits l’officier de police judiciaire (OPJ) de permanence. Une fois sur place, la patrouille fait un compte-rendu radio et il est fort à parier que le commissaire central ayant l’indicatif radio « TI » donnera immédiatement comme instruction aux policiers de geler les lieux et de conserver les témoins sur place.

Bien évidemment, ce genre d’événement entraine une vive effervescence au sein du commissariat. Immédiatement, le commissaire central en est informé et se déplace sur les lieux, accompagné du chef de la BSU locale (Brigade de Sureté Urbaine, qui gère toute l’activité judiciaire au sein de ce commissariat).

Arrivés sur place, les policiers de la BSU demandent l’assistance du service local de police technique et scientifique (identité judiciaire), afin que les techniciens effectuent les premières constatations et prennent des photos pour établir un album photographique de la scène de découverte du cadavre.

2. La justice s’en mêle

L’OPJ de permanence, ou bien le chef de la BSU, fait un premier compte-rendu téléphonique au magistrat (un substitut du Procureur) de permanence au parquet. Nous préciserons bientôt le rôle et la fonction des magistrats du parquet dans une enquête policière. Pour les besoins de ce billet, il suffit de savoir que la police judiciaire, dont fait partie la brigade criminelle, est à la disposition du parquet pour mener l’enquête sur les infractions. Comme le dit l’article Wikipédia, le ministère public (le parquet) « représente les intérêts de la société et pour cela exerce l’action publique ».

Le compte rendu de l’officier de police judiciaire au substitut du procureur comprendra les éléments suivants :

Suite à ce compte-rendu, le magistrat de permanence exerçant la fonction de substitut du procureur se transporte sur place. Dans le cas qui nous occupe, il constate les faits et décide de dessaisir de l’enquête le commissariat local au profit du service spécialisé de la police judiciaire. Sachez pourtant qu’il a la possibilité d’en décider autrement, par exemple en laissant l’enquête au commissariat (si aucune enquête n’est nécessaire) ou bien en saisissant une unité de recherche de la gendarmerie.

La découverte de cadavre entraine l’ouverture immédiate d’une enquête dite « aux fins de recherches des causes de la mort ». Ce cadre d’enquête (article 74 du code de procédure pénale) est un peu hybride, car il prend en compte le fait que la mort d’un individu sur la voie publique peut résulter d’une cause naturelle. On se trouve donc à la frontière entre le code civil et le code de procédure pénale.

Si le médecin légiste requis sur les lieux de la découverte du cadavre émet l’hypothèse que la mort est naturelle, l’enquête s’arrête immédiatement. Le «Bleu » (certificat de décès) est immédiatement délivré par le médecin, sans aucune mention d’obstacle médico-légal à l’inhumation, avec la date et le jour du décès. Le défunt est restitué à la famille, conformément aux dispositions du code civil. L’enquête de Police s’arrête.

3. Un homicide

Dans un roman policier, le médecin légiste constate le plus souvent que le décès est dû à des causes énigmatiques ou résulte d’un homicide. Le magistrat décide d’ouvrir une enquête en flagrance pour homicide (la notion d’assassinat viendra plus tard). Il saisit un groupe de la police criminelle, par un coup de fil au patron de la police judiciaire ou à son  adjoint. Immédiatement, ce dernier avise le chef des divisions ( il s’agit bien souvent du numéro 3, ayant le grade de commandant fonctionnel) pour qu’il demande au groupe de se transporter sur place.

Le chef de groupe se transporte sur les lieux avec un effectif réduit pour prendre connaissance dans un premier temps des faits. Une fois qu’il est sur place, un briefing aura lieu entre l’OPJ du commissariat (CIAT), le chef de la crim’ et le procureur ou son substitut. L’OPJ donne connaissance aux deux autres des éléments en sa possession ( conditions de découverte du cadavre, premiers éléments d’enquête, identité connue ou inconnue de la victime, témoins…)

C’est à ce moment que le dé-saisissement s’opère de manière officielle et que le chef de la crim’ prend en main les opérations. L’OPJ local rentre à son commisariat et rédige quelques procès-verbaux : saisine, premières constatations, renseignements sur les témoins, avis au magistrat, clôture et transmission de la procédure au SRPJ.

4. L’enquête commence

Pendant ce temps sur la scène de crime, le chef de la crim’ appelle le reste de ses effectifs et et répartit les missions. Un procédurier est désigné, qui rédige le procès-verbal de constatation, matérialisant par écrit les lieux, la position du cadavre, sa tenue vestimentaire et sa  description complète. Les opération de constatation se font avec l’assistance de l’identité judiciaire locale.

Parallèlement aux constatations, un médecin légiste en fonction dans un des CMJ (centre médical judiciaire) du secteur est requis pour procéder à l’examen du corps. Les techniciens de l’identité judiciaire, dirigés par le procédurier, effectuent des clichés photographiques de l’examen du cadavre. Le légiste utilise des imprimés où sont dessinées les différentes parties du corps. Il mentionne les différentes traces de luttes ou de coups, les blessures par balles ou armes blanches. Ensuite, il établit un certificat médical décrivant les lésions.

Pendant ce temps, des enquêteurs de la crim’ effectuent une enquête de voisinage, à la recherche de témoins éventuels, de traces ou d’indices. Ils repèrent les caméras de vidéo-surveillance qui auraient pu enregistrer des images intéressantes. Les enquêteurs restés sur place essaient de comprendre comment le corps est arrivée à cet endroit. Ils ratissent le secteur pour trouver des traces de pneus ou de pas.

Les policiers ont la possibilité de faire appel aux effectifs d’une compagnie de CRS pour passer au peigne fin l’ensemble du secteur. Si le crime s’est commis près d’un lac, on peut également mobiliser les pompiers qui disposent d’une équipe de plongeurs spécialisés dans la recherche de traces et indices.

Les constatations durent plusieurs heures, à l’issue desquelles on disposera de toutes les informations qu’il est possible de recueillir sur la scène de crime. En particulier, les techniciens de l’identité judiciaire auront récolté tout objet personnel de la victime et toute trace papillaire ou ADN en relation avec l’homicide. Chaque indice est matérialisé par un cavalier en plastique jaune.

Quand tout est terminé, des employés des pompes funèbres emportent le corps à la morgue de l’institut médico-légal et des employés municipaux nettoient la scène.

 

 

2 réponses

Laisser un commentaire