Ces dernières semaines, la presse francophone et anglophone a souvent évoqué un thème qui fait l’objet de nombreux fantasmes : la rémunération des auteurs. Pour une fois, les journalistes ne se sont pas intéressés à Stephen King ou à Joanne Rowling, mais aux sans-grade, aux écrivaillons sous-payés, troupeaux très peu glamour qui a le mauvais goût de revendiquer – non mais je rêve – de meilleures rémunérations.
Les plaintes
Ainsi, le 21 mars dernier, le Conseil Permanent des Écrivains a donné de la voix au salon du livre, pour dénoncer
Des revenus à la baisse, des réformes sociales préoccupantes, un droit d’auteur fragilisé par la politique européenne… Les auteurs de livres sont clairement en danger. Et à travers eux, c’est la création éditoriale qui est menacée, dans sa liberté et dans sa diversité.
L’Humanité, par exemple, s’est fait écho de cette revendication, en ouvrant une tribune à Marie Sellier :
La plupart des gens ignorent que les auteurs perçoivent la portion congrue sur les revenus de la vente de leurs livres. Combien savent que les deux tiers d’entre eux perçoivent moins de 10 % de droits et qu’un auteur sur cinq ne touche pas plus de 5% ? 1 euro, voilà la somme mirobolante que touche en moyenne un auteur par livre vendu ! Ce qui signifie qu’il faudrait en vendre 15 000 exemplaires pour percevoir l’équivalent du Smic, alors qu’aujourd’hui le tirage moyen d’un ouvrage est de 6 000 exemplaires. Être auteur, c’est se situer dans un inconfortable entre-deux. Ni salarié, ni travailleur indépendant, nous ne sommes le plus souvent rémunérés que deux ou trois ans après avoir commencé à écrire, les avances versées par les éditeurs ayant une fâcheuse tendance à diminuer, voire à disparaître. Appartient-il sérieusement au maillon le plus faible de la chaîne du livre d’assurer la trésorerie de tout un secteur ?
En avril, c’était au tour des Britanniques de se plaindre, avec une étude montrant que les revenus des auteurs subissent depuis quelques années une sévère cure d’amaigrissement :
A survey of almost 2,500 writers commissioned by the Authors Licensing and Collecting Society last year found that the median income of the professional author (one who dedicates most of their time to writing) in 2013 was £11,000, down 29% on 2005. Including all writers, this fell to £4,000 in 2013. (Une enquête auprès d’environ 2500 écrivains, commandée par la Authors Licensing and Collecting Society l’année dernière a révélé que le revenu médian de l’auteur professionnel (celui qui consacre la plupart de son temps à l’écriture) en 2013 était 11 000 £, en baisse de 29% par rapport à 2005. En tenant compte de tous les écrivains, il est tombé à 4 000 £ en 2013.)
L’article de Thibault Delavaud
Si je me risque à mon tour dans cette polémique, c’est pour prolonger et nuancer l’excellent article de Thibault Delavaud, Le mythe de la rémunération des auteurs. Thibault reconnaît dans l’agitation médiatique récente un mythe qui a la vie dure : celui de l’auteur vivant de sa plume, qui semble mis à mal par les dernières évolutions du marché du livre. Voici ses arguments :
1. « L’auteur qui gagne sa vie par la vente de ses livres est un mythe. »
2. « Votre destin en tant qu’auteur peut donc se résumer à ceci : millionnaire ou précaire, point d’autre alternative. »
3. « À partir du moment où les auteurs proposent des textes gratuitement, ils contribuent à fragiliser l’industrie du livre et donc à diminuer leurs propres revenus. »
Quelques remarques
1. Vivre de sa plume, un mythe ?
Thibault a raison, bien sûr : la littérature n’a jamais été un vrai métier. Occupation de dilettantes, engagement de bourgeois passionnés ou d’aristocrates obsessionnels, l’écriture ne nourrit pas son homme. Les rares exemples sont un peu comme les gagnants du lotto : pour un gagnant, il faut un très grand nombre de perdants.
Mais les plaintes des auteurs recouvrent une réalité qu’il ne faut pas ignorer. Ces dernières années, la surproduction des éditeurs a permis à une poignée d’auteurs de tirer un maigre revenu de leur production incessante, et ce revenu a nettement tendance à chuter. Auteurs de jeunesse écrivant trois romans par an, auteurs de livres pratiques au sein d’une collection, de livres techniques de commande, ces quasi-professionnels se sentent à juste titre trahis par leurs éditeurs, et leur petit nombre ne doit pas faire oublier leur détresse. Quand ils affirment que « c’était mieux avant », ils ne parlent ni du XXe siècle, ni même du XXe, mais de l’année dernière.
Deuxième remarque : en parlant de mythe, Thibault semble condamner toute la formidable révolution de l’auto-édition à l’échec. Les transformations auxquelles nous assistons aux États-Unis sont pourtant de nature à bouleverser les rapports de force depuis longtemps trop favorables aux (grands) éditeurs. Devons-nous dès aujourd’hui baisser les bras, en nous interdisant d’espérer tirer un vrai revenu de notre activité ?
Millionnaire ou précaire, la loterie de l’écriture
Là aussi, Thibault a raison : on ne prête qu’aux riches. Le succès va au succès, ne laissant aucune place aux petits auteurs. Le système médiatique agit comme un gigantesque amplificateur au profit des très grands noms.
je veux pourtant croire qu’il est encore possible d’être moyennement célèbre, de réussir modestement, d’accumuler une petite cohorte de lecteurs fidèles.Dans les niches littéraires, il n’est pas forcément nécessaire d’atteindre des très gros tirages pour ne pas disparaître. L’auto-édition, qui met l’accent sur la relation avec les lecteurs, permet de fidéliser un petit groupe de personnes partageant une sensibilité commune. Hors des autoroutes littéraires, je suis persuadé qu’il existe une place pour les départementales et les vicinales.
La gratuité
Internet, surtout 2.0, a habitué les internautes à la gratuité. Ce fait nous est imposé, sans que nous puissions nous y opposer. Il existe des livres entiers sur les vertus du gratuit, même si l’accès à internet et l’hébergement de sites demeurent – il ne faut pas rêver – irrémédiablement payants.
Nous n’avons pas inventé ce monde virtuel. Il représente notre notre seule chance de diffuser nos productions à un vaste public. Si nous étiquetions nos livres au même prix que ceux portés par les empires de la diffusion-distribution universelle, nous n’en vendrions pas un seul.
L’auto-édition n’aurait pas été possible sans le gratuit, et il est indéniable que l’auto-édition contribue à fragiliser l’édition traditionnelle. Je ne crois pas cependant, que la gratuité elle-même soit directement responsable de cette fragilisation. Il existe depuis toujours des livres déclassés, vendus à bas prix dans des chaînes de discount, sans que les géants de l’édition en prennent ombrage (en réalité, ils en tirent même profit).
En parlant de gratuit, les éditeurs ne s’opposent pas à ce que les auteurs (notamment les universitaires) leur offrent gratuitement le fruit de leur travail. C’est d’ailleurs ce que les auteurs en colère leur reprochent : la disparition des à-valoir, les paiements aux calendes grecques et toutes la créativité qu’ils déploient pour ne pas payer leurs fournisseurs de textes.
Ce qui change réellement la donne, c’est le numérique et la fameuse dématérialisation de la culture, qui permet la reproduction massive et presque gratuite des contenus, ainsi que leur diffusion planétaire instantanée. L’oligopole des groupes éditoriaux, patiemment construit pendant plus d’un siècle, vacille sur son socle. Les éditeurs arrivent encore à maintenir les livres numériques à des prix élevés, mais cela ne durera pas. Un autre mode culturel est en train de naître, et les auto-éditeurs en font déjà partie.
Pour conclure
Ces remarques ne devraient pas laisser penser qu’il est facile de vivre de sa plume. Qu’on soit édité ou auto-édité, la réussite est rare et les gains de 200 € par an constituent le cas le plus courant. Je laisse donc Thibault conclure mon billet :
Si vous ne gagnez pas votre vie avec la vente de vos livres, ne désespérez pas, c’est tout à fait normal. Et ça ne vous empêchera pas de continuer à écrire.