• littérature de jeunesse : Andy Field - Treasure Island

Pour une littérature de jeunesse artisanale

À l’inverse de l’auteur « pour l’âge adulte », l’auteur de jeunesse ne peut se permettre d’écrire sans penser à ses lecteurs. Le monologue lui est interdit, comme la confession brute, le récit de sa vie ou l’auto-fiction à peine maquillée. L’adulte doit s’adapter à l’enfant, jamais l’inverse. La langue doit être simple, l’implicite doit se limiter à ce qu’un enfant peut comprendre, les récits doivent mettre en scène des personnages et des situations auxquels un enfant peut s’identifier.

Cette obligation rend possible une professionnalisation de l’auteur, qui devient un spécialiste en production de récits correspondant aux normes d’un âge. L’auteur de jeunesse, souvent rémunéré à 6, voire 4 % de droits d’auteur, a tendance à écrire beaucoup, dans tous les genres et à destination de toutes les maisons d’édition. Comme le dit l’ouvrage professionnel Éditer pour la jeunesse, publié par les éditions du Cercle de la Librairie,

la tendance à la surproduction en jeunesse fait qu’aucun éditeur ne peut absorber tous les projets d’un auteur ou d’un illustrateur qui vont donc frapper à d’autres portes… et comparer par ricochet les modes de relation auteur/éditeur selon les maisons.

Contraint à écrire beaucoup pour vivre de sa plume (sans quoi il n’y aurait pas de « tendance à la surproduction »), l’auteur collabore avec toutes les maisons qui veulent bien de ses ouvrages, devient un mercenaire de la plume et ne cherche plus guère à publier des livres dont il serait l’initiateur. En outre, les éditeurs développent une créativité toujours plus grande dans la conception d’objets-livres attrayants, privilégiant le produit au détriment de son contenu et réduisant l’auteur et son livre à la première étape d’un

 processus éditorial qui assure la transformation de cette dernière selon un ensemble de paramètres qui diffèrent selon l’âge visé, le genre, le style et les pratiques de la maison.(Éditer pour la jeunesse)

Il arrive de plus en plus souvent que les livres soient écrits à la commande, pour des collections conçues par l’éditeur et ses spécialistes du marketing en fonction des demandes d’un marché (voir à ce sujet cet article). Pire encore : le dites collections peuvent également être destinées aux « scolaires », ce qui signifie que l’opinion du lecteur sur le livre qu’on lui impose ne revêt qu’une importance marginale.

Je ne sais pas vous, mais la pensée que mon enfant se nourrirait de produits industriels conçus par des équipes de créatifs (comme on dit dans la pub) ne me comblerait pas de joie. Les chefs-d’œuvre de la littérature de jeunesse n’ont pas été fabriqués par les ordinateurs du service jeunesse d’un grand groupe éditorial ; ils sont nés de le relation entre un auteur et des enfants. Lewis Carroll a écrit Alice au Pays des Merveilles pour séduire la jeune Alice Liddell. Stevenson a raconté L’île au trésor à son beau-fils Lloyd Osbourne. Tolkien a écrit Le Hobbit pour divertir ses jeunes enfants. Ils s’agissait, comme on dit aujourd’hui de « projets personnels ». Aucun calcul éditorial n’est intervenu dans la création de ces livres. Œuvres d’artisans plus que de professionnels, ils continuent de faire rêver des nouvelles générations d’enfants qui, mieux que les adultes, savent distinguer un bon livre (à leurs yeux) d’un bel objet à consommer.

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