Auto-édités : Dave Catchpole - The Making of Harry Potter

Mauvais, les auto-édités ?

La parution, vendredi 5 juin, du billet de Thibault Delavaud Pourquoi les auto-édités sont-ils mauvais ? a déclenché une tempête sur Facebook. De façon prévisible, les auteurs indépendants ont exprimé une forte opposition à l’égard des idées exprimées dans cet article. Dans ce billet, je souhaite répondre à Thibault de façon amicale, respectueuse et constructive. En effet, j’estime que la question qu’il pose est à la fois courageuse et justifiée, et que les auteurs indépendants doivent disposer d’une réponse convaincante.

Résumé des idées de l’article

  1. Les livres auto-édités son mauvais dans leur grande majorité.
  2. Comme l’auto-édition n’impose aucune barrière à l’entrée, elle génère une immense pollution.
  3. L’appellation « indé/auto-édité » recouvre une majorité de mauvais livres. Le lecteur aura donc tendance à généraliser.
  4. Les auto-édités se heurtent à un plafond de verre et n’arrivent pas à devenir de véritables auteurs, parce qu’ils n’ont pas le niveau requis.
  5. L’auto-édition accueille les mauvais écrivains et les aspirants auteurs, qui devront beaucoup travailler pour accéder au statut d’auteurs.
  6. Certes, les maisons d’édition publient aussi des non auteurs, mais elles offrent au moins une garantie de qualité.
  7. Face à l’auto-édition, l’édition traditionnelle se contente de recycler les succès.
  8. Conclusion : les auteurs indépendants doivent travailler dur s’ils veulent devenir de vrais auteurs.

Mes réponses – contribution au débat

1. La mauvaise qualité des livres auto-édités

Même si la définition d’un bon livre ou d’un mauvais livre est impossible à trouver, Thibault a raison sur un point : l’écrasante majorité des livres auto-édités ne trouveront jamais leur public, soit parce que les lecteurs les considèrent comme dépourvu d’intérêt, soit parce que ces livres n’arrivent pas à se distinguer dans la masse des livres disponibles.

Voici les défauts que Thibault leur trouve :

  1. L’orthographe et la maîtrise de la langue française. Pas besoin de détailler, je pense que c’est assez clair.
  2. Le traitement de l’histoire et des personnages. Celui-ci est très souvent médiocre : clichés, dialogues creux ou qui sonnent faux, personnages caricaturaux, aucune originalité…
  3. La fadeur. Il s’agit de livres qui sont plutôt assez bien écrits et qui « tiennent la route ». Mais leur lecture laisse indifférent, elle ne suscite ni enthousiasme, ni passion. Ces livres n’apportent pas grand-chose et sont complètement oubliés aussitôt leur lecture achevée.

Impossible de nier le premier point : de très nombreux livres auto-édités n’ont pas été corrigés, et leur niveau de langue est médiocre. Les deux points suivants, par contre, sont tellement subjectifs qu’il est impossible de les utiliser pour séparer le bon grain de l’ivraie. Parmi les milliers de premiers romans publiés par l’édition traditionnelle chaque année, un grand nombre mériteraient les mêmes critiques. Pour s’en convaincre, il suffit de butiner un peu sur les tables de libraires réservées à la rentrée littéraire. Histoire médiocre, clichés, dialogues creux et platitude assaillent le lecteur dès les premières pages.

2. L’inondation livresque et 3. Les mauvais livres

L’argument n’est pas neuf : il y a trop de livres, surtout trop de mauvais livres. C’était déjà vrai au XIXe siècle, le numérique n’a fait qu’accentuer le phénomène et l’auto-édition transforme l’inondation en ras-de-marée. Comment ne pas éprouver un vertige face à cet océan de livres, comment ne pas craindre que le lecteur n’arrive pas à s’y retrouver ?

En réalité, un « mauvais » livre auto-édité est surtout un livre qui n’a bénéficié d’aucun investissement. Non relu par des professionnels, non corrigé par une correctrice, mal formaté, mal mis en page, disposant d’une couverture inadéquate, il est simplement condamné à ne pas être lu. Le lecteur l’aperçoit dans une liste, mais ne clique pas sur l’image. S’il clique sur l’image, la description ne le convaincra pas. S’il télécharge un extrait, il tombera sur trois fautes dans la première page et il passera son chemin.

Être lecteur, c’est d’abord savoir choisir ce qui nous convient. Comme toutes les plateformes, Amazon dispose d’algorithmes, de mots-clés, de catégories et d’un système de notation qui facilitent la tâche du client. Les livres non professionnels sont les premières victimes de ce système. Peu importent qu’ils encombrent les serveurs d’Amazon ; ils croupiront à jamais au fond d’un disque dur.

Une analogie permet de dissiper les craintes d’engloutissement : comme les livres, les sites internet ont connu en peu d’années une inflation vertigineuse. Comment l’internaute trouve-t-il le site qui lui convient parmi ces milliards de pages ? Tout le monde connaît la réponse : si une requête sur Google renvoie des millions de pages, seules les premières seront lues. Et personne ne plaint le pauvre internaute d’être accablé par la gigantesque masse des mauvais sites. Car l’internaute, comme le lecteur, a appris à chercher ce qu’il voulait dans cet univers numérique où l’abondance n’est jamais vécue comme un problème à résoudre.

Quant à craindre que le lecteur n’associe l’auto-édition à la mauvaise qualité, une seule remarque permet d’écarter cette idée. Quand un lecteur butine sur Amazon, est-il conscient que le livre dont il consulte la fiche est auto-édité ? Si l’ouvrage satisfait des critères de qualité professionnels, l’internaute ne dispose a priori d’aucun indice qui lui permet de deviner qu’aucun éditeur n’en a autorisé la publication.

5. Le plafond de verre

Thibault utilise cette expression de façon très personnelle. En réalité, le glass ceiling désigne

le fait que, dans une structure hiérarchique, les niveaux supérieurs ne sont pas accessibles à certaines catégories de personnes. (Wikipédia)

En aucun cas le plafond de verre ne renvoie à l’incompétence des personnes qui en sont prisonnières. Dans le cas de l’édition, penser le contraire revient à estimer que l’édition forme les auteurs, que le travail du directeur éditorial non seulement transforme les brouillons informes en bons livres, mais change les aspirants auteurs en auteurs authentiques.

Or, s’il est un fait bien documenté, c’est que les maisons d’édition reçoivent chaque année plus de manuscrits et qu’il est de plus en plus difficile pour un jeune auteur de se faire éditer. Le nombre même rend impossible la lecture attentive de chaque manuscrit, de sorte qu’un « bon livre » peu parfaitement ne rencontrer que des refus.

Certes, Thibault n’a pas tort quand il affirme que l’écrasante majorité des livres auto-édités ne correspondent pas aux critères fixés par les maisons d’édition. Mais la présence croissante, parmi les indépendants, d’auteurs de qualité montre que le système de sélection de l’édition traditionnelle ne joue plus son rôle.

Parmi les meilleures ventes d’Amazon dans diverses listes, et pas seulement de littérature de genre, on trouve de plus en plus d’auto-édités. preuve, s’il en est besoin, que le public a su les trouver et les apprécier, et que le plafond de verre n’empêche pas une petite portion d’auteurs indépendants de rencontrer leur lectorat.

5. Auteurs en herbe et aspirants auteurs

Comment apprend-on à écrire ? Si on ne naît pas auteur, on le devient. Dans le système traditionnel, on ne devient auteur qu’à force d’envoyer des manuscrits à l’aveuglette à toutes les maisons d’édition de France. Dès que l’une vous accepte, vous voilà promu auteur.

Dans le monde de l’auto-édition, les aspirants auteurs disposent de nouveau outils pour apprendre leur art : Wattpad, bêta-lecteurs, réseaux sociaux, etc. L’auteur n’est plus un solitaire qui jette des bouteilles à la mer ; il reçoit en temps réel les réactions de ses lecteurs et corrige plus rapidement ses défauts.

Cela prend du temps, bien sûr. Tous les aspirants ne deviendront pas auteurs. Mais certains ont déjà atteint le niveau décrit par Thibault :

auteur qui a un lectorat conséquent et dont la qualité des textes et le style sont reconnus par les lecteurs, les critiques etc.

Bon, d’accord, les critiques ne sont pas de la partie. Ils continuent pour la plupart à bouder les auto-édités, alors qu’ils seraient parfaitement à même d’en apprécier les qualités. Mais le lectorat ne partage pas ce genre de préjugés et se précipite sur ces nouveaux phénomènes éditoriaux. Qu’importent s’ils sont peu nombreux : leur succès montre qu’il est possible de se passer d’un éditeur (mais pas de professionnels de la révision, de la correction, de la mise en page et du graphisme) et d’atteindre quand même son public.

6. La garantie de qualité

Je ne m’attarderai pas sur ce point. Je me contenterai de rappeler que l’auto-édition peut facilement fournir cette garantie de qualité, en ayant recours aux mêmes professionnels que les éditeurs.

7. Le cynisme des éditeurs

Peut-on rêver plus belle publicité en faveur de l’auto-édition que le cynisme des éditeurs ? Quand 50 nuances de Grey est récupéré par l’édition et atteint des tirages colossaux (et ce indépendamment de la qualité du livre), le public constate que l’auto-édition produit des livres à succès et que les éditeurs ne font que favoriser la distribution de ces livres. N’est-ce pas justement la négation de l’idéologie qui veut que les auteurs soient incapable de fabriquer un « bon livre » sans avoir recours à un éditeur ?

8. Travailler dur

Je ne peux que rejoindre Thibault sur ce point : oui, les auteurs auto-édités doivent travailler dur, lire énormément, s’améliorer sans cesse, mais aussi recourir à une équipe éditoriale de qualité, vendre leurs livres et nouer des liens avec leurs lecteurs. Les plus acharnés finiront par réussir, même si les critiques ne seront pas au rendez-vous. Peu à peu, les auteurs installés comprendront l’intérêt d’auto-éditer leurs livres et se joindront au mouvement. Un jour, peut-être, les éditeurs devront enfin se remettre en question et apprendre à justifier leurs marges en fournissant aux auteurs un véritable service.