Personnages - Matias Roskos - Pictoplasma 2011 - Character Walk

Comment je crée mes personnages

J’ai commencé à écrire sans avoir conscience de la nécessité de créer des personnages. Je pensais qu’il suffisait de griffonner sur une fiche cartonnées quelques caractéristiques physiques, psychologiques et sociales pour que mon protagoniste, telle une créature de roman fantastique, accède à l’existence.

Il en est résulté une galerie d’ectoplasmes et de copies déguisées de moi-même, qui finissaient toujours par ennuyer, agacer ou mettre en colère les amis à qui je confiais la douloureuse corvée de me lire. Antipathique, ma Sarah ? Inexistant, mon François ? Je devais me rendre à l’évidence : les mésaventures que j’infligeais à ces êtres imaginaires ne suscitaient jamais la compassion, parce qu’elles n’arrivaient, pour ainsi dire, à personne.

Un revirement

Ce sont les enfants qui m’ont appris à créer des personnages. J’ai lu et je lis encore énormément d’histoires aux enfants, de sorte que je sais d’avance ce que mon public aimera et ce qu’il n’aimera pas. Dans mes lectures, j’interprète volontiers les rôles des personnages, modifiant ma voix pour les représenter plus concrètement.

Au fil du temps, j’ai donc acquis une certaine expérience en la matière, et j’ai surtout compris qu’un personnage doit être créé de l’intérieur vers l’extérieur, afin de permettre aux lecteurs ou aux auditeurs de s’identifier à lui. Chaque fois que je rencontre un personnage que je n’arrive pas à faire vivre devant des enfants, je sais désormais que son auteur a oublié plusieurs étapes fondamentales dans sa création, et qu’il a décrit de l’extérieur une créature inachevée, comme un homoncule qui n’atteindra jamais le statut d’être humain. Aucune puissance littéraire ne transformera jamais cet assemblage de caractéristiques en une image vivante de nous-mêmes.

Théorie générale unifiée du personnage

Nous passons notre vie à côtoyer des humains (sans parler des plantes et des animaux) qui ne nous ressemblent pas et dont les motivations nous échappent. Nous leur prêtons des pensées et des intentions, mais nous passons le plus souvent à côté de leur véritable univers intérieur. Bien qu’ils soient de notre espèce, bien que rien d’humain ne nous soit étranger, nous ne parvenons pas à interpréter correctement leurs actes. Nous pensons qu’ils sont méchants, fous, stupides ou anormaux. S’ils agissent ainsi, ils doivent forcément posséder un trait que nous ne connaissons pas, ou au contraire être dépourvus de qualités que nous estimons posséder.

L’une des plus profondes utilités de la littérature, à mon sens, est de nous permettre de comprendre ce qui nous est étranger. Nous n’avons pas besoin de lire des histoires mettant en scène des gens qui nous ressemblent, mais de découvrir l’intériorité de ceux qui possèdent une manière différente d’être humain. Les histoires de gentils affrontant des hordes infernales peuvent distraire, mais elles ne modifient pas notre vision. L’auteur de livres aussi caricaturaux se prive de la grande leçon de l’écriture : quand on crée de vrais personnages, on apprend à voir l’autre comme si on l’avait créé.

Créer un personnage : mes petites manies

Le nom

J’aime commencer la création de mes personnages par le nom. Dans des ouvrages sur les prénoms, des dictionnaires d’ancien français  ou de mythologie, Wikipédia ou des sites consacrés aux personnages, je recherche le nom et le prénom dont la résonance, les connotations culturelles et la signification étymologique correspondent à la fonction de mon personnage dans le récit. Parfois, le halo de sens du nom choisi possède une telle force que mon personnage acquiert immédiatement ses caractéristiques physiques et psychologiques.

Exemple : pour un personnage de traître disposant d’un certain charisme, Auguste Proditor pourrait évoquer à la fois la trahison (proditor) et la majesté (Auguste)

La biographie

Avant d’avoir défini l’apparence et le caractère de mon personnage, j’imagine son histoire, qui trace un lien entre sa naissance dans un contexte défini et le rôle qu’il jouera dans l’histoire. Par exemple, si j’ai besoin d’un militaire inflexible, je le fais naître dans une famille où le père est un ivrogne qui bat sa femme et ses enfants. Je me glisse dans la peau de cet enfant qui assiste à ce drame quotidien et qui jure qu’il deviendra fort pour protéger sa mère. Ma méthode est de chercher l’enfant dans l’adulte, de dénicher, au sein d’un comportement qui semble violent, dépourvu de pitié, malhonnête ou pervers, la souffrance d’un petit enfant qui vit une situation tragique.

Mes personnages ont rarement vécu une enfance sans histoire. Si je veux qu’ils soient hantés par un conflit interne, qui enrichira l’intrigue en introduisant des doutes et des difficultés psychologiques, je dois me transformer en tortionnaire et leur infliger des souffrances qui les rendront plus intéressants. De temps à autre, un personnage secondaire échappe à cette règle et jouit d’une existence paisible – du moins avant d’entrer dans mon histoire. Il ne connaît pas sa chance, ce bienheureux.

Exemple : Auguste Proditor était le benjamin d’une famille aristocratique désargentée  qui comptait cinq garçons. Son père le méprisait et à ses demi-frères, nés d’un autre lit, le traitaient comme un faible et un simple d’esprit et lui imposaient les tâches les plus avilissantes.

Quand il atteignit l’âge de dix-sept ans, son père tomba gravement malade. Ses frères, plus âgés que lui, espéraient tous hériter de ce qui restait de la fortune familiale. Auguste, quant à lui, ne désirait qu’une chose : se venger d’eux, les faire souffrir comme ils l’avaient fait souffrir.

C’est alors que le pharmacien du village, un ancien amant de la mère d’Auguste, proposa à ce dernier un plan à la fois brillant et sanguinaire. Comme Auguste était toujours exclu des fêtes, banquets et repas de famille, il devait introduire dans les bouteilles de vin servies lors du repas des funérailles de son père un poison qui tuerait ses frères dans des souffrances terribles.

Il en fut fait comme le pharmacien l’avait annoncé, et Auguste fut le seul à survivre de cet empoisonnement massif. On estima qu’il n’était pour rien dans la mort de ses frères, puisqu’il était censé participer au repas. Auguste hérita donc, et fit exécuter tous ceux qui lui avaient manqué de respect pendant sa jeunesse. Quand le pharmacien vint réclamer sa part de l’héritage, il le fit emmurer dans les caves du château familial.

Vous remarquez que ce genre de biographie constitue un récit à part entière. Mes personnages on des secrets et des histoires à raconter. Au besoin, je pourrai me servir de ces récits cachés dans une intrigue secondaire.

Profession, statut social et marital, relations avec les autres

Les traits regroupés ici ont un commun de définir les liens entre le personnage et le monde extérieur. Ils sont orientés vers l’action, car ils assignent au protagoniste une place, une fonction, un réseau, une influence. Ils doivent être compatibles avec sa biographie, mais représentent un ordre de réalité distinct.

Exemple : Auguste Proditor occupe depuis trente ans la fonction d’intendant à la cour du roi. Bien qu’il ait accumulé un pouvoir considérable, il est toujours considéré comme un marquis de seconde zone par les aristocrates de haut rang. Il a pourtant su gagner la confiance de nombreux intrigants en leur offrant des informations confidentielles, mais la plupart des gens de cour se méfient de lui.

Il se présente comme un veuf, alors qu’en réalité son épouse, qu’il avait achetée à une famille en déclin, a fui à l’étranger en compagnie de son écuyer.

Personnalité

La personnalité d’un personnage découle de sa vie et de son statut. Elle constitue le déclencheur de ses actions et leur explication. Ici, je me contente souvent de généralités, parce que j’ai constaté que mes personnages avaient tendance à acquérir une personnalité définitive au cours du récit. Chaque fois que j’insiste pour conformer leurs actes à leur on caractère supposé, ils deviennent moins authentiques.

Exemple : Auguste est vaniteux, orgueilleux et très irascible. Il aime impressionner et voue des haines tenaces à tous ceux qui se moquent de lui ou le tiennent à l’écart. Dépourvu de morale, il est prêt à commettre toutes les bassesses pour obtenir ce qu’il veut. Il estime être incompris, victime de la calomnie et de la haine.

Particularités, manies, traits de langage, goûts

Rien ne caractérise mieux un personnage que ses particularités. Elles parlent mieux qu’une description de son intériorité et permettent d’exprimer les conflits internes et les sentiments sans recourir au monologue intérieur ou au discours indirect.

Exemple : Auguste Proditor s’habille avec un soin presque ridicule. Il est obsédé par la propreté et déteste le contact de ses semblables. Il aime se déguiser en valet pour espionner le personnel sous ses ordres. Il s’exprime en général de manière précieuse, en utilisant des mots dont il ne maîtrise pas totalement le sens. Il possède un penchant excessif pour les sucreries.

Description physique

À ce stade, si je ne me représente pas encore l’apparence de mon personnage, j’en déduis que je n’ai pas assez travaillé les points précédents. Comme ma méthode consiste à créer les personnages de l’intérieur vers l’extérieur, leur apparence n’existe qu’en rapport avec leur biographie, leur personnalité, leurs habitudes ou leur statut social.

Exemple : Nous savons qu’Auguste est majestueux, il jouit donc probablement d’une haute stature. J’imagine volontiers son visage dissimulé par une barbe disgracieuse. D’autres traits physiques pourraient le rendre ridicule, comme des oreilles décollées ou une calvitie qu’il compense à l’aide d’instables perruques. Son goût pour le sucre est à l’origine d’un embonpoint. Il est vêtu avec recherche, mais de manière peu harmonieuse.

Mise en mouvement

Afin de faciliter l’intégration des traits divers qui constituent mon personnage, j’ai parfois recours à un procédé très simple : je demande au personnage de se décrire lui-même, comme il n’aurait jamais osé le faire dans la vie réelle. Le récit qui en découle, écrit à la première personne, m’aide à m’identifier à lui au point que je n’ai plus besoin de consulter mes fiches pour imaginer ses actions et ses monologues intérieurs.

Exemple :

Je suis Auguste Proditor, l’héritier légitime d’une longue lignée de nobles chevaliers, injustement négligé par mes pairs. Mon histoire est celle d’une conquête. Sans ma détermination et mon courage, je ne serais plus de ce monde. Je suis entouré de menteurs et d’incompétents. Même le roi, mon maître, est aveugle. Si personne n’interrompt la décadence que j’aperçois autour de moi, je sens qu’un événement funeste finira par balayer le monde et ne laisser debout que les hommes de valeur.

Un deuxième procédé, que je réserve aux personnages mystérieux ou destinés à endosser un rôle négatif, consiste à les interviewer.

Exemple :

– Auguste, haïssez-vous les gens ?

– Nenni, nenni. Je me considère comme un philanthrope. Mais je n’aime pas tous ces sournois, ces intrigants irrespectueux des bienfaits grandioses que je leur prodigue, tous ces rats qui se croient supérieurs.

– Et le roi, que pense-t-il de vous ?

– Du bien, forcément. Ce vieil excrément, que je sers fidèlement depuis trente ans ne m’a pourtant jamais accordé la moindre attention. Il devrait se méfier : quand on ne reconnaît pas la valeur de ses meilleurs alliés, de terribles choses peuvent arriver.

– De quoi voulez-vous parler ?

– Je ne sais pas… Des complots, des attentats, des trahisons peut-être…

– Vous pourriez le trahir ?

– Bien sûr que non, voyons ! Cette pensée m’est insupportable. Mais je connais des gens, d’odieux personnages qui agissent dans l’ombre. Si le roi m’écoutait, il pourrait éviter que leur méchantes action ne débouchent sur l’irréparable.

L’interview d’un protagoniste négatif rend plus facile sa compréhension. N’oublions jamais qu’un bon personnage négatif est toujours persuadé que c’est lui le bon de l’histoire. Un auteur doit montrer à l’égard de ses méchants la même compréhension qu’une une mère à l’égard de ses enfants qui auraient mal tourné.

Comment s’assurer que son personnage est réussi

Le blog mythcreants.com a publié l’an dernier un billet (en anglais) sur le thème : Cinq signes que votre personnage est bien développé. Voici les cinq signes en question :

  1. Votre personnage possède une volonté propre
  2. Vous pouvez prédire ses actions
  3. Il a plus d’une facette
  4. Vous pouvez le voir changer
  5. Vous sentez ce qu’il sent

Je ne saurais mieux dire.