Dans toute l’histoire de l’humanité, notre époque est sans aucun doute la plus riche pour les amateurs d’histoires. Des millions de romans, films, séries, bandes dessinées, pièces de théâtre sont disponibles en permanence, parfois à portée de clic. Tous les grands auteurs du passé ont leur édition intégrale, tous les chefs-d’œuvre du cinéma sont finement restaurés et internet aura bientôt mis en ligne l’intégralité des archives télévisuelles. Chaque année, les nouveautés se comptent par centaines de milliers, dont la plupart sont impitoyablement négligées par un public que cette surabondance a rendu extrêmement exigeant.
Pour les créateurs, par contre, l’époque ressemblerait plutôt à un cauchemar, entre la concurrence sauvage, la manie du gratuit, l’industrialisation de la production et, justement, l’extrême exigence des amateurs d’histoires. Le temps approche où tout écrivaillon sera obligé de payer pour encourager ses contemporains hyperconnectés à jeter un œil distrait à ses balbutiements.
Les infortunes de la création
Au XIXe siècle, il était possible de divertir les lecteurs avec un roman racontant les émois intérieurs d’un jeune aristocrate trop sensible. Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, les descriptions pouvaient s’étaler sur plusieurs pages sans gêner personne, et aucun logiciel de correction ne soulignait en rouge toute phrase de plus de dix mots. Aujourd’hui, toute histoire qui échoue à accrocher le lecteur/spectateur/internaute en quelques lignes ou secondes est immédiatement condamnée à l’oubli....