Dans le film Des hommes d’influence (Wag the Dog), de Barry Levinson (1997), Dustin Hoffman joue le rôle de Stanley Motss, un producteur hollywoodien appelé à fabriquer un fausse guerre contre l’Albanie pour couvrir un scandale sexuel qui éclabousse un président sortant. Prodigieusement riche, Motss conserve pourtant une frustration : bien qu’il soit à l’origine de tant de succès du cinéma, il demeure inconnu, alors que le public et les critiques portent aux nues les réalisateurs. Cette frustration finit par causer sa perte : à la fin du film, alors que son « spectacle » a largement atteint son objectif, il décide d’obtenir une revanche en révélant qu monde qu’il en est le créateur. Il est donc exécuté pour préserver le secret.

L’invasion des producteurs

Bien que le propos de ce film remarquable concerne la virtualisation de la politique et l’influence néfaste des images télévisées sur l’opinion, le personnage de Motss peut inspirer d’autres réflexions. Car la figure du producteur, liée ici à la fabrication industrielle d’une illusion, a envahi tous les domaines de la vie culturelle, du cinéma à la littérature en passant par la musique. Aux États-Unis, le terme « overproduction » se traduit par notre « surproduction », mais vise aussi, dans le domaine musical,

des enregistrements supervisés par un producteur qui « impose » son « son » ou sa technique à un groupe ou un artiste.

La marque d’un album « surproduit » sera souvent une bonne qualité professionnelle, au détriment de l’authenticité de l’artiste. À la décharge des producteurs, les « artistes » en question, recrutés parmi les jeunes talents sans expérience, n’ont que rarement le talent et l’expérience nécessaires pour enregistrer des albums aussi aboutis sans leur aide. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est si fréquent de les voir disparaître quelques années plus tard, quand leur maison de disque décide de les laisser se débrouiller tout seuls !

Des producteurs de littérature ?

Mais si l’influence des producteurs est bien documentée dans la musique et le cinéma, qui parle des producteurs du domaine littéraire, appelés les éditeurs ? Car le rôle de ces derniers s’apparente à celui de leurs confrères des autres arts : transformer un talent d’artiste en produit fini de qualité professionnelle, en l’élaguant au besoin de toutes les aspérités qui pourraient gêner la clientèle. Comme en musique ou dans le cinéma, les producteurs littéraires s’attribuent volontiers la paternité des œuvres et maintiennent les artistes dans une soumission jugée nécessaire. Bien qu’ils ne participent pas vraiment au processus de création, leur connaissance du marché et leurs compétences techniques en font des acteurs stratégiques (et parfois bien payés).

Auto-édition, ou auto-production ?

L’auteur qui souhaite emprunter la voie caillouteuse de l’auto-édition est confronté à un choix : soit il se passe complètement de producteur, soit il décide d’effectuer lui-même toutes les tâches liées à la production, soit il devient son propre producteur, commandant ces tâches à divers professionnels afin d’aboutir à un résultat conforme aux plus hautes normes artistiques et matérielles du secteur. Les deux premières possibilités aboutissent, l’une à des ouvrages publiés par des « plateformes d’auto-édition », où tous les aspects de la publication sont automatisés, la deuxième à des ouvrages d’aspect artisanal (au mauvais sens du terme) qui contribuent à l’image négative de l’auto-édition dans les médias.

Mon engagement

Mon propre choix correspond à la troisième voie : devenir producteur de mes propres livres. J’estime en effet que la fonction du producteur/éditeur est indispensable et doit être prise au sérieux par les auteurs auto-édités, sans quoi toute l’entreprise est vouée à l’échec. Une fois l’écriture d’un roman achevée, l’auteur doit revêtir la défroque du commerçant littéraire et accompagner son livre dans toutes les étapes d’une chaîne complexe, mais dont la maîtrise assure à l’ouvrage une vraie valeur ajoutée. À ce prix seulement sa déclaration d’indépendance à l’égard des producteurs a des chances de réussir.

Devenir producteur pour s’affranchir du producteur : telle est la revanche dont parle le titre de ce billet. On ne se débarrasse du chef qu’en devenant son propre chef. Bien des auteurs hésitent encore à franchir ce pas, car ils refusent d’endosser les responsabilités correspondant à la tâche. Entre les contraintes et les avantages, chacun trouve son propre équilibre. Pour ma part, plusieurs années ont été nécessaires avant que je décide enfin à me changer en mon propre éditeur. La suite dira si j’ai eu raison ou tort…

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