« Un voyage de mille li commence par le premier pas » disaient les anciens Chinois. Le périple de l’auto-éditeur, quant à lui, commence par une liste des tâches. La femme ou l’homme-orchestre joue d’abord de chaque instrument séparément. Si nous voulons assurer seuls les nombreuses fonctions de la chaîne éditoriale, nous devons disposer d’un modèle, d’une carte routière qui nous indique le chemin et les escales.

En ce domaine comme en tant d’autre liés aux processus industriels, la langue française nous fait un peu défaut pour décrire correctement les étapes à franchir. Ainsi, l’anglais distingue l’editor, chargé de l’amélioration du manuscrit, du publisher, qui transforme le manuscrit en un livre présenté au public. De même, les trois mots promotion, publicity et advertisement possèdent des sens très différents, qui nous aident à comprendre les enjeux de chaque activité.

Autoédition

Les auteurs artisanaux étasuniens ne se diront jamais self-editors. Il semble en effet impossible d’améliorer soi-même un manuscrit qu’on estime déjà digne de la publication. L’argument des professionnels de l’édition contre l’auto-édition semble donc valide : sans amélioration du manuscrit, les livres publiés risquent de conserver de nombreux défauts, des lourdeurs, des « longueurs de la deuxième partie », des clichés, des personnages creux (cardboard characters, ou personnages de carton), etc.

Mais les difficultés croissantes que rencontrent les auteurs pour se faire publier les amènent souvent à tenter d’améliorer eux-mêmes leur manuscrit, par exemple en le soumettant à divers lecteurs autres que leur maman, leur conjoint(e) ou leurs amis intimes. C’est ce que Guy Kawasaki appelle les « bêta-lecteurs » dans son livre APE – Author, Publisher, Entrepreneur. Les auteurs très actifs sur tel ou tel réseau social pourront, par exemple, soumettre leur manuscrit à leurs nombreux « amis ». Certains sites proposent également ce genre de services, comme CoCyclics.Les conteurs d’autrefois ne procédaient pas autrement, quand ils testaient leurs histoires sur des dizaines d’auditoires différents, les modifiant peu à peu jusqu’à atteindre une forme parfaite.

En fait, les éditeurs éditent-ils vraiment les manuscrits ? Le mien, en tout cas, ne s’est pas soucié d’améliorer mes divagations ! De nombreux petits éditeurs, qui ne disposent pas du temps nécessaire ou du personnel compétent, renoncent à retravailler les manuscrits avec leurs auteurs et demandent parfois à ces derniers de trouver eux-même un correcteur ! Quant aux autres, les modifications qu’ils suggèrent n’aboutissent pas toujours à améliorer le texte. Enfin, il existe une dernière catégorie de modifications qui n’intéressent pas les auteurs : celles qui visent à insérer le livre dans une collection, par exemple en le raccourcissant, en changeant son titre ou en y ajoutant tel ou tel personnage.

Je reparlerai de l’importante question de la préparation éditoriale dans des billets ultérieurs. Pour l’instant, je me contenterai de dire que je juge absolument indispensable le recours à des personnes extérieures, sans aucun lien avec vous, pour transformer votre brouillon en un vrai livre. Il y va même de la crédibilité de l’autoédition.

Une dernière fonction entre dans la catégorie de l’auto-édition proprement dite : la correction orthographique et typographique. Ici, le recours à une(e) professionnel(le) me paraît indispensable. Votre manuscrit final doit être (quasiment) exempt d’erreurs, sans quoi vous recevrez des flots de commentaires injurieux de lecteurs (justement) courroucés. Je reviendrai également sur ce thème plus tard.

Autopublication

En anglais, on traduit « éditeur » par « publisher ». Ce mot me paraît infiniment plus juste que le terme français, parce qu’il décrit la vraie fonction de la maison d »édition : transmuer un manuscrit en un livre et le livrer au public. Le publisher ne crée pas son produit, il le commercialise.

Cette idée ne va pas de soi en France, où les éditeurs s’attribuent volontiers la paternité des livres qu’ils publient, mais il y a dans cette idée une certaine hypocrisie. Un article paru l’an dernier dans la version française de Slate explique ainsi que les éditeurs français misent sur la sobriété des couvertures pour identifier visuellement les collections et sacraliser le travail éditorial. Mais les photos illustrant cette affirmation montrent, par exemple, les Cahiers Rouges de Grasset ou la Cosmopolite de Stock, deux collections consacrées aux auteurs étrangers, où le travail éditorial se réduit au choix des livres à la foire de Francfort et à leur traduction. Suffirait-il donc de traduire une série de bons bouquins et de les publier sous une maquette uniforme et peu inventive pour passer pour un grand éditeur ?

Dans le domaine du livre numérique, la publication échappe d’ailleurs presque complètement à l’éditeur. Après l’étape de la création de la couverture et celle du formatage numérique, le livre est distribué sur des plateformes de vente en ligne, qui imposent leurs propres contraintes en matière de format et de commercialisation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’autoédition s’est démocratisée : en matière de publication électronique, les auteurs auto-édités sont désormais en mesure d’égaler ou de dépasser les éditeurs professionnels. À nouveau, les tâches de la création de couverture, de la mise en page et du formatage numérique feront l’objet d’autres billets.

Autopromotion

Mais s’il est un domaine où l’auteur peut se passer encore plus complètement de toute aide extérieure, c’est bien dans la promotion de ses livres. Car les éditeurs n’assurent plus depuis longtemps cette fonction pour les ouvrages de leurs catalogues – à l’exception de quelques romans promus de toute façon à un grand destin commercial. Aux États-Unis, les auteurs savent qu’ils doivent se charger de leur propre promotion, sans quoi leurs romans disparaîtront des tables des libraires en deux mois à peine. Des livres entiers sont écrits sur la construction d’une « plateforme d’auteur » ou sur le marketing littéraire, et des sociétés de service proposent aux écrivains établis de prendre en charge pour eux la corvée de la promotion.

Quelques définitions : la promotion « vise à développer les ventes d’un produit sous la forme d’action intensive conduite par l’offreur » (Wikipédia). On ne parle pas ici de littérature, mais de commerce. Si vous pensez que le livre n’est pas un produit, renoncez immédiatement à vous autoéditer.

En anglais, deux autres mots peuvent nous aider. D’abord la publicity, qui est le « mouvement d’information ayant pour effet d’augmenter la conscience du public sur un sujet » (Wikipédia). Un auteur peut « rendre public » son livre en participant à un réseau social, en donnant des interviews à un magazine, en participant à un mouvement collectif, etc. Le but est d’attirer l’attention sur ce qu’il écrit par d’autres moyens que la publicité, afin que des lecteurs ou des prescripteurs parlent spontanément de lui.

Enfin, le mot « advertisement » désigne la publicité proprement dite, que la plupart des ouvrages déconseillent aux auteurs. Il ne faudrait cependant pas exclure le recours à ce moyen de communication, par exemple dans le cas d’une action collective de promotion par plusieurs auteurs ou de livres offerts gratuitement pendant une courte période.

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