L’enfant qui lit, c’est d’abord une image, icône de l’innocence et de l’entrée dans la culture. Blottie dans un vieux fauteuil, la petite fille lit quelques pages de son livre de chevet avant d’aller au lit. Des écoliers indiens dévorent des illustrés sur le seuil d’un temple. Trois garçons du Honduras se partagent un bouquin sur les marches d’un escalier.

Pratham Books - Vision: A Book In Every Child's Hand
Pratham Books – Vision: A Book In Every Child’s Hand

Le photographe saisit ce moment de concentration, où l’enfant perd conscience du monde qui l’entoure et s’ébat dans un univers imaginaire. Pas besoin de la présence d’un adulte – c’est tout seul que le jeune lecteur parcourt les lignes et les pages. Cette autonomie, conquise de fraîche date, le servira pendant toute sa vie. À son tour, il découvre pour la première fois les histoires et les personnages qui ont marqué ses parents, en plus de quelques autres.

Un enjeu de première importance

Thomas Life - Reading
Thomas Life – Reading

Le enfants français lisent beaucoup : d’après une étude Ipsos de 2012, 82 % des enfants de 7 à 15 ans s’adonnent à la lecture au moins une fois par semaine. Hélas, ces chiffres diminuent brutalement à l’approche de l’adolescence : à partir de 12 ans, cette activité de choix devient un loisir marginal, si bien qu’à 17 ans, 46,5 % des ados déclarent ne jamais lire un livre. Comme si la puberté faisait disparaître l’émerveillement de la lecture.

Les parents s’affolent, conscients de l’enjeu que représente la lecture dans la réussite scolaire. Leur ado fera-t-il partie de ces jeunes illettrés sortant chaque année du bac sans comprendre ce qu’ils lisent et n’orthographiant correctement que lol et mdr ? Comment remettre cet adepte des jeux vidéo et de la messagerie instantané sur le droit chemin des lignes imprimées ?

On accuse facilement les divertissements commerciaux, la télévision, le téléphone portable, la tablette, les jeux vidéo. Les coupables sont faciles à mettre en accusation. Privons-les de cette électronique et tout rentrera dans l’ordre. Aucun parent ne le fera, bien sûr, mais il est rassurant de pouvoir imaginer qu’une solution simple et radicale existe.

Sortir de la résignation

Nous devons cependant imaginer que les ados possèdent leur rationalité, en dépit de leur comportement qui nous paraît si souvent contraire à leurs propres intérêts. Ils agissent en fonction de leur environnement, des contraintes qui pèsent sur eux et de leurs besoins d’êtres humains qui grandissent et découvrent la sexualité. S’ils abandonnent la lecture, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont influencés par des camarades idiots ou  séduits par des plaisirs faciles.

Quand ils atteignent l’âge de 12 ans, celui de la cinquième, c’est leur autonomie même qui leur permet de s’affranchir des suggestions trop bien intentionnées des prescripteurs. Que les adultes l’acceptent ou non, ils abandonnent les livres sages que leurs parents leur offraient, les pensums approuvés par l’Éducation nationale et la sélection « littérature de jeunesse » de la bibliothèque municipale. Devenus des consommateurs, souvent comme leurs parents, ils réclament une liberté de choix, même si cette liberté les amène à délaisser la bonne littérature au profit de Facebook.

Le succès universel de la série Harry Potter ou des romans de vampires montre pourtant que la lecture peut passionner les ados même après 17 ans. Il suffit pour cela qu’ils y trouvent un intérêt personnel. Consommateurs d’histoires, ils sont prêts à conserver leurs habitudes de lecteurs si cela leur apporte des satisfactions en rapport avec leur âge et leurs préoccupations. Évidemment, tous les parents n’aiment pas voir leur fille absorbée dans la lecture d’un bouquin de « chick-lit », ou leur garçon dans celle d’un manga. Mais il faut savoir ce qu’on veut : si la lecture est bonne en soi, celle d’un polar ou du Guide du zizi sexuel l’est aussi.

Des consommateurs ?

Il est possible que cette entrée de nos ados dans la société de consommation ne nous plaise pas. Je ne parle pas ici des parents qui refusent à leur enfants ce qu’ils s’accordent à eux-même, mais de ceux qui ne cèdent pas aux sirènes des marchandes et rêvent de convertir leur progéniture à ces idées critiques. Les alternatives existent, mais elles impliquent surtout d’insérer l’ado dans une communauté de jeunes de son âge partageant les mêmes valeurs. La lecture, en tout cas, ne possède pas à elle seule le pouvoir de protéger l’enfant de la liberté souvent délétère que lui offrent les industries du loisir.

L’enfant qui lit, objet de tant de fantasmes, ne dure que le temps de la domination des adultes. Nous devons être capables de renoncer à l’image quand l’enfant atteint l’âge de choisir. Quels que soient les dangers de la liberté, elle est toujours préférable à la servilité ou à l’oppression. Si nous voulons que nos enfants lisent après douze ans, nous devons leur donner envie de le faire.

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