• Faux commentaires : Orin Zebest - Fake Flowers In the Sun

Le scandale des faux commentaires Amazon

Mon dernier billet de blog était consacré à 10 services pour auteurs sur Fiverr. J’avais choisi ces services en évitant avec soin certaines offres indélicates, mais un détail m’a échappé : parmi les services de marketing dont je me suis contenté de reproduire la liste figurait celui-ci :

L’ennui, c’est que cette catégorie, si elle expose certaines prestations parfaitement légitimes, comme le rédaction de critiques permettant d’améliorer un site internet, contient principalement des Gigs proposant la publication de faux commentaires. Cette pratique, forcément répréhensible, non éthique et contraire aux contrats d’Amazon, semble pourtant très répandue outre-Atlantique. Excellente occasion pour faire le point et pour fournir mes propres commentaires – parfaitement éthiques, quant à eux !

Pourquoi des faux commentaires ?

Les faux commentaires ne se valent pas tous. On peut les classer en trois grandes catégories :

  • ceux qui servent à donner au livre une visibilité qui lui permet d’échapper à la spirale de l’oubli ;
  • ceux qui gonflent le livre d’importance et cherchent à le propulser artificiellement à la première place ;
  • ceux qui dénigrent les concurrents en accablant leurs pages Amazon d’un torrent d’insultes.

De même, l’offre se décline en deux grandes variété : les faux commentaires, élogieux ou non, parfois dictés par l’auteur et les critiques honnêtes, mais payantes.

Un scandale : John Locke, Rutherford et The Fiverr Report

C’est un article du New York Times qui a débusqué le lièvre : certains auto-édités étasuniens, et non des moindres, achetaient des critiques. L’article évoque notamment GettingBookReviews.com, un site internet, créé en 2010 par Todd Rutherford (et aujourd’hui défunt), et dont l’objet était de vendre des commentaires. Pour 99 $, on pouvait obtenir un commentaire, pour 499 $ l’heureux client bénéficiait d’un chœur de 20 commentaires et pour 999 $ 50 commentaires chantaient à l’unisson au profit du bénéficiaire.

Rutherford avait compris un paradoxe : que dans ce monde numérique où le faux  se mélange au vrai, les clients ne lisent plus les commentaires, mais évaluent le succès d’un livre à leur nombre. Autrement dit, il ne s’agissait plus d’écrire des dithyrambes, mais de produire très vite une avalanche de petites notes dont le contenu importait peu.

Le succès est arrivé très rapidement. Submergé par les demandes, Rutherford a engagé quelques dizaines de commentateurs freelance par petites annonces et son affaire est passée du stade artisanal au stade industriel, permettant à la commentatrice la plus active de gagner 12 500 $ en quelques mois en ne consacrant au plus que quinze minutes à la lecture des livres.

Parmi les clients de GettingBookReviews.com, le plus connu était certainement John Locke – pas le philosophe, mais cet auteur qui s’est vanté d’avoir vendu un millions d’ebooks (à 99 cents) en cinq mois, en oubliant de mentionné le coup de pouce de Rutherford et de son équipe. Locke a fini par reconnaître cet achat de service, auquel il n’attribue que peu d’importance dans sa réussite, mais Amazon n’a pas tout à fait réagi de la même manière : après que les pratiques de Rutherford ont été dévoilées par une cliente en colère, le distributeur a supprimé des milliers de commentaires suspects, provoquant la colère des auteurs qui les avaient achetés !

Ce scandale a rejailli sur le monde de l’auto-édition, désormais soupçonné de pratiques immorales. Un individu passablement haineux à l’égard de quelques auteurs à succès a même créé un faux « Fiverr Report » pour dénoncer la fausseté des commentaires obtenus par l’intermédiaire de Fiverr. On se serait cru dans l’histoire de faussaire de Brassens !

Même si certains auteurs tentaient de minimiser le problème, en affirmant que tout le monde était au courant, les faux commentaires ont quand même suscité de nombreuses réactions d’indignation. D’autant que des sites comme Fiverr, justement, vendaient de tels commentaires à des prix qui les rendaient accessibles à tout auteur.

Cercle vicieux : les apologues des pratiques douteuses

Pourtant, quelques voix ont continué de s’élever pour recommander (discrètement) aux auteurs débutants de recourir à des commentaires payants. Dereck Murphy, auteur et créateur de couvertures, fait partie de ces voix. Dans Book Marketing is Dead, il préconise le recours à des commentaires payés honnêtes (ma première catégorie), afin de permettre au livre de démarrer et de sortir du cercle vicieux de l’obscurité (voir cet article).

D’autres, plus moraux, posent le question, puis répondent par la négative.

Il reste que la condamnation systématique des commentaires payants laisse une question irrésolue : comment un auteur auto-édité inconnu peut-il obtenir des commentaires autres que ceux de sa maman et de ses amis ? En l’absence d’uns réponse convaincante, les auteurs désespérés de n’être ni achetés, ni lus, ni commentés continueront d’être attirés par les offres tentatrices de Fiverr ou d’ailleurs et d’acheter ce que leurs lecteurs ne leur offrent pas spontanément.

Quitte à y perdre leur âme, mais qui le saura ?

Et dans l’édition traditionnelle ?

Au fait, comment obtenait-on des bonnes critiques, du temps de l’hégémonie de l’édition traditionnelle ? Rappelez-vous : l’attachée de presse chargée de la promotion du chef-d’œuvre courtisait ses critiques favoris, leur offrant à tour de bras des exemplaires dédicacés, mais les emmenant parfois au restaurant ou les encourageant avec d’autres arguments très peu littéraires. Ces pratiques aussi relevaient de la tricherie, mais peu de journalistes osaient les désigner comme telles. Le besoin de vendre a toujours poussé certains éditeurs à prendre des raccourcis. Pourquoi s’étonner que les auteurs auto-édités les empruntent à leur tour ?

 

Note de fin : je précise que je n’ai personnellement jamais eu recours à des faux commentaires et que je n’ai pas l’intention de suivre le conseil de Derek Murphy.

 

 

14 Comments

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    Bregman 31 mai 2015 (20 h 56 min)

    Personnellement, je crois que bon commentaire ou mauvais commentaire, le principal est d’en avoir. Il n’y a rien de pire qu’un ouvrage que les lecteurs ne commentent pas. D’abord, on ne sait pas s’ils l’ont lu, et ensuite, on ne sait pas ce qu’ils en ont pensé…
    En tant qu’auteur, je regrette d’avoir souvent eu recours à la gratuité ou à des offres promotionnelles avec si peu de commentaires en retour par exemple.
    Le commentaire est une façon de prolonger le bouche à oreille, d’en garder une trace écrite là où beaucoup de notre visibilité s’effectue sur le net. Cela ne me surprend donc pas que l’on puisse acheter des commentaires.
    De manière générale, toutes les opérations publicitaires sont discutables. Lorsqu’un éditeur effectue un tirage de 100.000 exemplaires pour créer un effet de masse pour être sûr d’en vendre la moitié et que le reste part directement au pilon, personne n’en parle. C’est toute la société de consommation qui est à pointer du doigt, et les dérives, effectivement fortement critiquables, d’un auteur autoédité qui achète des commentaires ne sont finalement qu’un tout petit détail de ce système dans lequel nous baignons tous.
    Heureusement, il subsiste aussi des succès qui ne reposent sur aucune publicité autre que le bouche à oreille des lecteurs. Et ceux-là, je les respecte plus que tout.
    Rdv sur mon blog pour découvrir, en ce moment-même et au cours des semaines à venir, les interviews de plusieurs auteurs autoédités qui ne doivent leur succès qu’à leur talent.
    Bravo à eux 😉

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      admin 31 mai 2015 (21 h 03 min)

      Bonjour Charlie,
      Je pense exactement comme toi : on stigmatise des auteurs, alors que tout le système est à revoir. Si les commentaires sont le sésame qui permet de rendre le livre visible, comment s’étonner que certains cherchent à l’acheter ?
      Les succès sans publicité ni tricherie sont effectivement remarquables, ce qui ne veut pas dire que ceux qui restent dans l’obscurité n’ont aucun mérite. J’irai voir les interviews en question.
      Merci pour ce commentaire.

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    agnesb62 1 juin 2015 (7 h 51 min)

    Commentaires achetés ou pas, le système est vicié également sur les étoiles accordées. personnellement, je me méfie des livres ne totalisant que des 4 ou 5 étoiles, et vais tjrs voir quels autres livres ont critiqué les commentateurs… Si le copinage est flagrant, je passe ma route, sinon, je fais confiance à mon intuition… 😉

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      admin 1 juin 2015 (17 h 04 min)

      Totalement d’accord ! Les lecteurs et les consommateurs commencent à se rendre compte que les commentaires sont trafiqués, que ce soit sur Amazon ou sur n’importe quel site de vente. Il est vrai que les médias ont été les précurseurs de cette attitude : quel que soit le livre, le film ou le spectacle, les radios, les télés et les journaux nous annoncent des chefs-d’œuvres à tout bout de champ, et les critiques honnêtes sont devenues rares.

      Heureusement que les lecteurs ne tombent pas dans le panneau, sinon les livres dépourvus de commentaires complaisants ne seraient jamais lus.

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    Alan Spade 1 juin 2015 (11 h 27 min)

    Tu as raison de citer l’édition traditionnelle en fin d’article, Guy. On sait par exemple qu’une commentatrice comme Harriet Klausner a rédigé plus de 30000 commentaires de livres, ce qui en fait, si elle est vraiment seule à les lire, une sacré lectrice, tu en conviendras. http://www.amazon.com/gp/cdp/member-reviews/AFVQZQ8PW0L/ref=cm_cr_pr_auth_rev?ie=UTF8&sort_by=MostRecentReview

    J’ai été surpris l’autre jour en lisant les commentaires d’un auteur Bragelonne traduit en anglais dont je tairais le nom de voir un commentaire de Harriet Klausner!

    Il faut aussi savoir que l’édition traditionnelle est connue pour financer des achats de livres dans des librairies et revendeurs en ligne ciblés de manière à s’assurer une place sur la liste des bestsellers du New York Times. Le regain de popularité une fois le livre dans la si précieuse liste génère en effet des retombées indiscutables, et permet d’organiser de nouvelles campagnes marketing.

    C’est pourquoi j’ai parfois l’impression que les auteurs qui cherchent à se faire publier par de gros éditeurs laissent cette sorte de mafia se salir les mains pour pouvoir garder la conscience tranquille.
    Mon côté idéaliste, sans doute.

    Pour les traductions de mes livres en anglais, l’enjeu d’obtenir des commentaires était important pour moi, parce que ces traductions m’ont coûté cher, et il fallait les rentabiliser.

    Je n’ai évidemment payé aucun commentaire, c’est contre mon éthique. Ma méthode consiste à me servir de Goodreads en envoyant des livres physiques à des reviewers, puis de contacter d’autres commentateurs Goodreads qui se sont inscrits pour remporter le livre physique en leur proposant l’ebook gratuit en échange d’un commentaire.

    Cela dit, par expérience c’est une méthode lente: mes 31 commentaires sur The Breath, je les ai obtenus en plus d’un an, petit à petit. Tous ne sont d’ailleurs pas des commentaires 4 ou 5 étoiles. Et je n’ai pratiquement jamais la mention « achat vérifié », ce qui signifie aux yeux des lecteurs que l’implication des commentateurs sur mon livre est moindre.

    Tu noteras au passage qu’aucun de mes livres français n’a obtenu autant de commentaires, ce qui me semble prouver que les outils français tels Babelio sont très loin d’être aussi utiles pour des auteurs français que leurs équivalents anglophones.

    Or, on a vu par exemple pour Heart Collector que le livre a obtenu plus de 1000 commentaires en un mois, grâce à la puissance marketing d’Amazon. On sait que certains ouvrages aux Etats-Unis carburent à plus de 15000 commentaires. Un nombre massif de commentaires en peu de temps est en effet l’une des composantes d’un ebook qui arrive en tête de classement (mais pas la seule, heureusement! Et il existe des livres très peu commentés qui grimpent aussi dans les listes, là aussi heureusement.)

    Avec 31 commentaires sur plus d’un an à plus de 4 étoiles sur 5 de moyenne, mon livre traduit en anglais reste quasiment invisible et ne me génère pas plus de ventes. Le seul avantage, c’est que j’ai accès grâce à ces commentaires à des newsletters payantes qui elles, me permettent de vendre. Mais je le dis franchement, j’utilise ces newsletters à chaque fois à perte.

    Peut-être arriverais-je un jour à rentabiliser sur trois livres en anglais. Mais ce sont les longues séries qui sont les plus intéressantes pour les auteurs autoédités. Et il est probablement plus facile de rentabiliser sur du thriller/polar que sur de la fantasy, hélas.

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      admin 1 juin 2015 (16 h 59 min)

      Bonjour Alan,

      Ce qui me frappe avec les commentaires authentiques, c’est que les lecteurs ont surtout envie d’en laisser au sujet de livres déjà connus. L’idée qu’un lecteur passerait spontanément quelques minutes à expliquer à des inconnus en quoi un livre est bon ou mauvais me paraît, au mieux, optimiste. En réalité, le système idéal permettant de rendre plus visible les livres qui plaisent n’a pas encore été inventé.

      Quant aux éditeurs traditionnels, leurs trafics et manipulations sont légendaires. Si on les accepte mieux que celles des auteurs indépendants, c’est parce que le système culturel veut absolument voir les écrivains comme de purs artistes dégagés des contingences matérielles. Pour moi, un écrivain qui s’abaisse à écrire des critiques complaisantes par le système classique des renvois d’ascenseur (voir par exemple ici : http://www.arretsurimages.net/dossier.php?id=211) n’est pas plus moral qu’un auto-édité qui achète des commentaires.

      Concernant tes traductions, tu ouvres la voie, sans être porté par le marketing Amazon. Ce qui signifie que nous devons tous regarder de près tes expériences afin de juger si l’aventure vaut la peine d’être tentée. Manuel Lempereur vient de s’y mettre lui aussi. Je trouve cela plutôt encourageant : alors que la plupart de écrivains français se replient frileusement sur leur exception culturelle, réclamant des pouvoirs publics toujours plus de protection, les indés partent à la conquête du marché étasunien.

      Je te souhaite donc un franc succès dans cette tentative.

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        Alan Spade 1 juin 2015 (17 h 18 min)

        Merci Guy, pour cet encouragement!

        Tu as raison pour les commentaires, c’est quelque chose qui ne vient absolument pas naturellement à la plupart des lecteurs.

        Je te rejoins tout à fait dans ton analyse, « le système idéal permettant de rendre plus visible les livres qui plaisent n’a pas encore été inventé. »

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    morganepinon 1 juin 2015 (23 h 16 min)

    Très intéressant ! Je suis d’accord qu’un auteur inconnu a tout d’abord des commentaires des amis et famille… Mais il existe des groupes FaceBook (du moins un qui fonctionne très bien) pour l’échange de lecture et commentaire. Et du coup, pour mon deuxième livre, je n’ai reçu pour l’instant que des commentaires de lecteurs qui sont des auteurs ! Des personnes que je ne connaissais pas il y a un an…
    Il est vrai aussi que les gens ne sentent pas forcément l’importance du commentaire. J’ai déjà eu des personnes de mon entourage qui m’ont dit : « J’ai adoré ton livre ! »
    Et quand je leur ai soufflé l’idée du commentaire, leur réaction a bien souvent été la même : « Ah bon ? Tu crois vraiment que mon avis compte ? »
    Difficile donc ! Surtout que certaines personnes sont très enthousiastes à l’idée de lire notre livre et promettent de faire un retour sur leurs impressions… Et puis, silence radio. Les gens lisent, passent peut-être un bon moment et finissent, à la fin de leur lecture, par reprendre le cours de leur vie en oubliant leur première envie de dire ce qu’ils en pensent !
    Du coup, pour ma part, les commentaires reçus arrivent de façon ponctuelle et c’est toujours une fête lorsque j’en lis un ! C’est de cette rareté que j’apprécie vraiment ce retour précieux 😀

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      admin 2 juin 2015 (7 h 24 min)

      Merci du Commentaire, Morgane.

      Je serais curieux de savoir de quel groupe de lecteurs Facebook vous parlez. J’en connais plusieurs, mais je ne les ai jamais testés.

      Effectivement, en France, les gens ne se sentent pas encore autorisés à commenter, et ignorent que leurs commentaires peuvent être utiles. Après tout, ils ne sont pas critiques professionnels, et l’école leur a donné honte de leur écriture.

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        morganepinon 2 juin 2015 (13 h 28 min)

        Le groupe en question s’appelle : « Promouvoir son ebook – Kindle gratuits de nouveaux auteurs à découvrir ». Il est animé par Jacky Bourgogne. Nicolas Tison y est très actif pour ses lectures et retours par commentaires. A mon avis, c’est grâce à ce genre de groupe que l’Ebookivore a vu le jour.
        Le principe est simple. Chaque auteur peut faire la promo de son livre gratuit ou à moins de 1€. Des personnes le téléchargeront, le liront et en feront un commentaire. En contre partie, l’auteur devra faire pareil avec une autre promotion. Le petit plus, certaines personnes ont aussi pris l’habitude de relever quelques coquilles et en font mention à l’auteur 🙂
        Je suis dans ce groupe depuis septembre 2014 et j’ai jamais autant lu que depuis que j’ai l’application Kindle ! En tout, j’ai lu et commenté une quinzaine d’ebooks. J’ai reçu un peu plus de 5 commentaires pour recueil de nouvelles et déjà 4 pour nouveau livre…
        Je trouve qu’il y a une bonne dynamique et j’ai fait de très belles rencontres 😀

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          admin 2 juin 2015 (13 h 32 min)

          Merci pour la réponse.

          Je suis déjà membre de ce groupe, mais je n’y avais jamais eu recours. Je me demandais justement s’il fonctionnait correctement. J’irai faire un tour, j’ai justement un ebook gratuit à faire découvrir 😉

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            morganepinon 2 juin 2015 (13 h 35 min)

            Je vous lirai et vous commenterai avec plaisir 😀

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            admin 2 juin 2015 (13 h 56 min)

            C’est fait. Merci encore 🙂

  • Le scandale des faux commentaires Amazon - Guy ... 14 juillet 2015 (20 h 47 min)

    […] Les faux commentaires sont souvent considérés comme une maladie du numérique, menaçant le modèle culturel des détaillants. Faut-il vraiment les condamner ?  […]

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